RECOGNISE IN LONDON

by Elisabeth Lebovici

RECOGNISE
Contemporary art platform, 1 Thane Villas, London N7 7PH
(Métro Finsbury Park) du mercredi au samedi, de 13 à 19h.

On peut contacter Predrag Pajdic au 0044 77 344 340 66. Il avait déjà organisé une exposition Paranoia au Musée Freud de Londres et vient d'ouvrir une exposition intitulée Crimes et Splendeurs à Amsterdam. Recognise a lieu juqu'à la fin de l'été.



L’exposition Recognise profite de son lieu : un entrepôt situé près de Finsbury Park à Londres, un quartier pour le moins multiculturel. Vendredi après midi-dernier, peut-être comme tous les autres après midi d’ouverture, l’organisateur Predrag Pajdic est assis avec une copine à l’entrée et fume (rappelons que la cigarette est « bannie » de tous les lieux publics depuis le 1er juillet dernier), vous invitant à vous munir d’un plan, étant donnée l’obscurité des lieux. Ce n’est pas une simple ruine industrielle retapée. Car l’exposition a construit son dispositif en retrouvant les anciennes étagères métalliques, encore étiquettées (« agrapheuses », « adhésifs » « colle »…) et en les rangeant pour former de longs couloirs grillagés. Comme l’entrepôt est sans fenêtres aucune, l’éclairage vient des écrans vidéo et des pièces lumineuses, et il apporte des ombres supplémentaires dans un espace de vides et de grillages . On pense aux «Réserves» de Boltanski, on pense aussi un peu à l’installation de Mona Hatoum, que le musée national d’art moderne possède, intitulée : Light Sentence, une lumière de torture placée entre deux couloirs également grillagés. L’exposition, il faut le dire d’emblée, réunit quarante artistes du Moyen Orient- du Liban et de la Palestine, mais aussi des Emirats, de l’Egypte ou Israel ; non qu’ils en proviennent ou qu’ils y vivent encore obligatoirement, l'enjeu n'est pas là: c'est leur objet, c'est leur sujet. Tout spectateur est ainsi, immédiatement , engagé.

Comme ces grandes photos suspendues, de Yasmeen Al Awadi (Grid Works, 2007) : le motif moderniste de la « grille » dérive ici vers la logique du travail et de l’exploitation, les photographies représentant ces âmes métalliques qui servent à verser le bêton. Bêton des immeubles en construction en Arabie Saoudite. Yasmeen Al Awadi a forcé le secret, avec ses images interdites des colonies de travailleurs immigrés, cachés, vivant dans des cités isolées, qui viennent construire ces immeubles. Pas très loin, des piles d’affiches à la Gonzalez-Torres, portent une seule phrase, empruntée au New York Post américain : « Bin Laden is dead ». Servez-vous.

Dans les couloirs grillagés, diffusant la lumière sépulcrale des moniteurs et celle rougeâtre du néon, en caractères arabes, de Nada Prija, « Demain est à moi », les vidéos offrent un panorama beaucoup plus variées que la simple dénonciation d’un ennemi consensuel. Il ne s’agit d’ailleurs pas vraiment de ça : la plus drôlatique est celle de Lamia Joreige, qui a trouvé, dans une maison de retraite américaine, des cours de gymnastique aquatique pour vieillards, où ils meuvent leurs membres fatiqués en chantant en commun les paroles : « Osama ».

Emily Jacir a fabriqué, avec un tapis à bagages d’aéroport (instrument hautement symbolique dans nos sociétés de surveillance), un cercle fermé, qui, presque à la façon d’un édicule de jardin d’enfants, s’anime lorsqu’on s’en approche. Nemania Cvijanovic, sur une table lumineuse devenue tableau, a simplement construit une étoile de David, avec la répétition du mot « Bricks », les briques maçonnant le mur. Quant à Oreet Ashery, artiste « drag », qui s’est fabriqué un personnage masculin ayant la particularité de se déclarer rabbin, l’affiche photo du barbu rouquin portant lunettes et chapeau s’orne, au coin de son manteau, d’un badge aux couleurs du drapeau « free Palestine ». Wael Shawky propose, à la taille également d’une affiche, la représentation nocturne d’un de ces manèges de foire qui tourne sur lui même dans tous les sens et qui est fabriqué à l’image de la mosquée Al Aqsa…. Mohammed Abdula remise dans un coin, derrière une étagère encore, munie de plantes vertes, un petit film à peine perceptible, qui montre encore une fois un grillage, avec une fois tous ces filtres passés, deux personnages montant manifestement la garde et vus de dos. Les absurdités de l’aliénation quotidienne est, sont, ainsi, mises en scène, et pas du côté de l’Ouest.

C’est ça qu’on aimerait voir plus souvent, ces « tableaux de la vie quotidienne » dans des pays où la guerre est aussi banale que la vie : des expositions, qui ne vous mettent pas du côté des dénonciateurs, du côté des « sujets supposés savoir », mais plutôt de ceux qui apprennent.

Paris, July 15, 2007

LINK